vendredi 12 août 2016

Le bilinguisme au Canada oui, mais à quel prix?




Suite à la récente grève des professeurs des collèges de l'Ontario, une question s'est imposée à moi. Les professeurs jouissent-ils vraiment  des avantages qui conviennent à leur rôle à la fois important et difficile dans la société.

J'ai longtemps considéré l'enseignement d'une quelconque matière comme une vocation, un art, c'est un métier noble et valorisant et je le pense toujours. Enseigner exige beaucoup de qualités humaines: l'empathie, la patience, l'écoute, la sagesse... aussi des compétences techniques pour pouvoir transmettre le message et bien expliquer son contenu en utilisant les outils adéquats et convenables. C'est un métier exténuant, car il faut être alerte et savoir gérer une classe de plusieurs étudiants avec des personnalités différentes et parfois difficiles. Garder l'harmonie et maintenir une atmosphère saine est souvent un défi auquel tout professeur ou enseignant fait face. Chaque heure passée en classe est stressante, car chaque jour apporte son lot de surprises. Pourtant quand on aime cette profession on se donne entièrement, on conseille, on accompagne, on guide, on est disponible, on est ouvert...


Le professeur oublie ses problèmes et se consacre à ceux de ses étudiants. En rentrant chez lui, il se prépare physiquement et mentalement pour le lendemain: le cours, les corrections, les devoirs... Il doit prévoir l'imprévisible afin que tout se déroule bien. Son crédo est de rester zen, de bonne humeur, de posséder une bonne énergie pour bien répondre aux besoins et demandes de ses étudiants. Intéresser et toujours donner le meilleur de lui-même et de ses acquis.

Au Canada, grand pays connu par son bilinguisme, l'enseignement de la langue seconde est important et souvent exigé par les institutions. On exige des employés de parler à la fois anglais et français. Et il est beaucoup plus facile de se trouver un emploi ou de décrocher des promotions au gouvernement ou ailleurs quand on est bilingue. Pour ce faire, les employés sont envoyés dans des écoles de langues. À cet effet, le professeur que les recruteurs recherchent doit démontrer toutes les qualités et compétences pour jouer ce rôle. En plus d'être universitaire, il doit posséder une longue expérience dans le domaine, connaître les programmes et les curriculums, etc. Quant au tarif qu'ils lui offrent, celui-ci se situe souvent entre 15$-20$/heure, oui j'ai bien dit 15-20$. Avec un peu de chance, un prof peut bénéficier d'une augmentation d'un dollars après quelques années de dur labeur. Il espère aussi décrocher des petits contrats de quelques mois ici et là pour survivre. C'est presque le salaire minimum d'un ouvrier analphabète. J'ai entendu plusieurs professeurs dire qu'ils préfèrent travailler dans un Mc Donald que d'enseigner à ce tarif. Je vous invite à consulter les offres d'emploi de professeurs de français langue seconde en ligne. 

Pourquoi la valeur d'un professeur de langues expérimenté est aussi dérisoire, pourquoi sous-estimer le grand rôle qu'il joue au sein de la société, son influence, son empreinte et son savoir.
Ces professeurs travaillent dans des situations difficiles et précaires. Ils travaillent au jour le jour, car ils ne savent pas de quoi sera fait leur lendemain. Des petits contrats à petits prix leur sont distillés au compte goutte à tel point qu'ils perdent le goût de donner et d'exceller, ils n'ont plus la tête pour leur travail, ils se demandent comment arrondir leur fin du mois, payer leur loyer, leur épicerie, bref, leurs frais quotidiens. Ils sont en quête de meilleurs offres ici et là, car le lendemain est à redouter. Le cercle devient vicieux, ils tournent en rond sans espoir.  Ils survivent sans avantages sociaux, pas de permanence, aucune sécurité.

Ceci d'un côté, d'un autre côté, là où le bât blesse, c'est que la plupart des écoles privées embauchent de plus en plus de gens qui n'ont aucune relation avec le domaine de l'éducation ni même l'enseignement de langues. Des immigrants désespérés se donnent à petits prix à ces écoles pour pourvoir à leurs besoins et ceux de leur famille. Ils arrivent en tant qu'ingénieurs, administrateurs, vendeurs... et s'improvisent professeurs de langues par manque de travail dans leur domaine. Leur précarité les oblige à accepter les miettes que ces écoles leur offrent. Le résultat: le professeur spécialisé dans le domaine  doit subir les mêmes diktats, un rendement au-dessous de la moyenne et la qualité de la langue enseignée dégringole.  Et on se demande pourquoi certains parlent si mal. Ce n'est certes pas la seule raison, mais c'en est une. Malheureusement, cela profite non pas au bilinguisme mais à ceux qui s'enrichissent au dépens d'une profession noble. Ces derniers négocient leurs gros contrats en faisant fi des intérêts de leurs professeurs.

Enfin, il est injuste et honteux de voir des universitaires expérimentés dans le domaine de l'enseignement des langues explotés à prix minables. La langue véhicule la connaissance et rapproche les nations et les peuples, elle doit être valorisée en valorisant ses professeurs, car comme a dit Jean Jaurès: On n'enseigne pas ce que l'on sait, on n'enseigne pas ce que l'on veut, on enseigne ce que l'on est.

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